Si on n'a pas vu le bonheur dans l'image, on en verra le noir - Chris Marker

une proposition de Ramuntcho Matta

26 juin - 6 septembre 2014


Si on n’a pas vu le bonheur dans l’image, on en verra le noir
Chris Marker
une proposition de Ramuntcho Matta en collaboration avec la galerie Polaris

Pour célébrer l’anniversaire de Chris Marker, Ramuntcho Matta, dont il était un ami proche, propose de mettre en relation certaines de ses planches-contact avec des œuvres des artistes de la galerie.
Cette exposition, en collaboration avec la galerie Polaris, a pour note d’intention une lettre posthume de Ramuntcho Matta adressée à Chris Marker.

avec Chris Marker, Katharina Bosse, Alun Williams, David B., Louis Pons, Dominique Figarella, Jochen Gerner, Sarah Tritz, Guillaume Pinard, Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle, Killoffer, Manuela Marques, Odires Mlaszho, Fred Jagueneau

 

 

 

 

Cher Chris,
Maintenant que tu n’es plus là tu n’as jamais été aussi présent à mon esprit.
J’aime tant ton exigence et ton acuité mentale.
Je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir trouver pour ton anniversaire.
En visitant les réserves de deux amis galeristes, (j’ai bien dit galeriste et non marchand.)
J’ai sélectionné quelques perles pour toi.
Des belles images.
« Belles » dans le sens « vérités ».
Subjectivités porteuses de vérités.
Car la beauté c’est aujourd’hui la vérité aussi.
Tu l’as si bien dit dans « le joli mai ».
Car la vérité des artistes apporte bien plus au réel que les médias. Sans doute parce que
les médias spéculent sur le malheur plutôt que sur les propositions de solutions. Un peu
comme une médecine qui s’intéresserait plutôt à la maladie qu’au mieux être….

Les artistes choisis ici sont attirés par une exigence de sincérité et pas vers un système
caricatural. Les artistes sélectionnés ici arpentent notre époque pour en révéler l’essentiel.
C’est ce qui les rend précieux et essentiels.
Tu l’as si bien dit dans « le joli mai ».

A propos de Mai, que reste-t-il de la révolution à Cuba: Fred Jagueneau a attrapé au vol ce petit garçon qui regarde le monde avec le même scepticisme que Bob Dylan… il semble dire :
« est-ce ici que vous me souhaitez ? »… comment se sentir “souhaité“ dans un monde où la
technologie sert avant tout a soumettre l’individu par des systèmes de contrôles
complexes…
Il est vrai que ces mêmes technologies permettent d’aller sur la lune… Mais pour quoi faire ?
Simon Willems le peint. Peindre c’est découvrir.
Découvrir qu’il n’y a rien là haut, qu’il n’y a qu’ici.
C’est avec le paysage qu’il faut s’agencer….
autant prendre soin d’ici non ?

C’est ce dont parle Yto Barrada : si on est mal quelque part on sera mal partout.
La gestion de l’éducation est une honte. Tout est en Tanger.
Tous les challenges de notre obscure époque. L’éducation, la perversité, la spéculation,
L’humanité, la générosité… tout est en Tanger.

Tous les matins tu faisais de la gymnastique, on avait en cours ce livre d’exercices,
l’hommage aux acrobates de Sarah Tritz devrait te faire plaisir…., c’est une reconnaissance à
ceux qui donnaient grâce aux instants partagés…

Ce n’était pas facile à trouver en cette époque où la stratégie de la confusion met tout au
même niveau.
Jochen Gerner décode, montre, démontre comme Burroughs le faisait.
Il s’agit bien de niveaux de lecture. Comme dans Antonio Caballero.
L’accident de voiture dit aussi que le business des jeux olympiques tue l’innocence.
Un pistolet ne peut pas nous protéger contre nous-même, au contraire.
Même dans un roman-photo, on peut faire passer une multitude d’informations.
Comme tu disais avec les principes de responsabilité de Hans Jonas.

Tu cherchais un mécène pour aller finir tes jours en Islande.
Je n’ai pas trouvé la maison mais Yona Friedman et Jean-Baptiste Decavèle évoquent bien cette ambiance.
La chaleur de l’isolement.

Le store vénitien lui nous parle du commerce qui masque, comme l’abandon de notre
essence même, avoir du coeur, du marin de la vidéo de Bouchra Khalili.
Pour survivre aujourd’hui il faudrait renoncer à l’amour ?
Aller jusqu’à jeter les clandestins à la mer ?
Vivre comme une brute barbare comme les dessins de Guillaume Pinard ?
Une tête de pierre ? Une masse a la main ?
Quelques traits de crayons nous rappellent à la vigilance.
Etre vigilant vis-à-vis de soi-même, c’est la signification du mot Jihad.

Le sang de l’agneau n’aura servi à rien si on ne voit pas la trace de Gombrowicz dans le
tableau de Bart Baele et aussi la multitude d’autres signaux.

Alun Williams dans ce travail sur Jules Verne me rappelle cet artiste cubain que tu adorais.
Le seul tableau que tu avais chez toi d’ailleurs.
Qu’aurais-tu dit à Napoleon III ?
Et cette fille prise en photo par Katarina Bosse te dit qu’une fille n’est pas qu’un visage… ni un corps… on est tous tellement plus complexe que notre sexualité ou notre sexe.

J’ai retrouvé pour l’occasion les planches contacts que tu m’avais données avant ton départ.
J’en ai sélectionné des fragments.
Tu m’as dit un jour que les images sont à tout le monde, et que l’important c’est de faire
des choses, en toute liberté.
Le © est l’ennemi absolu….

Tu m’as dit un jour que le krazy katz d’Herimann était sans doute le plus grand monteur.
Merci à Speedy Graphito de le remettre à la vie.
On avance avec nos morts, nos douleurs.
C’est peut-être ce qui construit notre exigence.
Ne pas entrer dans l’amnésie.

L’homme qui marche de David B. nous éclaire en ce sens.
Donner place aux précédents.
Se rappeler que l’arbre fleurit après l’hiver.
Manuela Marques le souligne.
L’abri c’est aussi de pouvoir se poser.
S’autoriser à se mettre en pause. Et prendre le temps de regarder.

Odires Mlaszho rappelle aux politiques que le pouvoir n’induit pas automatiquement la puissance.
La puissance véritable c’est l’écoute.

Dominique Figarella fait lien. Il montre le brouillage qu’un simple ballon rond peut produire.
Lobotomiser la consistance s’il ne reste qu’elle.
Et avec lui toute la stratégie matérialeuse.
Le corps ne se réduit pas au sport.

Patrick Guns prend des risques.
Donner à voir l’acte d’amour du dernier repas au condamné à mort.
La prison ne sera jamais la solution.
Qu’est ce qui nous pousse à en arriver là ?
Comment avons-nous perdu nos 4 visages ?
La panthère sait car elle fait des hypothèses à une vitesse fulgurante.
C’est de discernement dont on a besoin.
Tout comme moi tu es insomniaque, comment ne pas l’être ?

A ce propos les chats savent être immobiles et bondir soudainement.
Louis Pons t’a fait un joli spécimen.
Il pourrait être homologué comme chat.
Il a compris l’essence de la vie: être là et ici a la fois.

Killoffer parle de cette chose qui occupe l’espace nocturne.
Il ne faut pas parler de choses importantes la nuit, car on y voit pas clair.
Mais il est bon d’écouter la voix de la nuit.

Est ce que les sans-abris d’Antony Hernandez ont accès à la nuit ?
A quelle nuit a-t-on accès lorsque il ne nous reste que notre peau sur le dos ?
Cette sale peau qui démange.
Qu’est ce qui démange les responsables ?
Car comme dans tout : responsables il y a.
L’art est là pour nous le rappeler.
C’est pour cela qu’il est essentiel de soutenir les galeries.
Peut-être le dernier territoire de contre-pouvoir.

Cher Chris je voulais te montrer cela.
La lutte continue.
Pas forcément d’une façon frontale.
Mais le combat pour la dignité continue. Nous n’avons pas renoncé.
L’arme ultime est en vente partout et elle gratuite.
Elle se nomme l’intelligence.
C’est ce que tu m’as appris.

Bon anniversaire Chris.

Ramuntcho Matta, juin 2014